Scène inspirée de Moins que zéro, de Bret Easton Ellis : cocktail renversé sur une table luxueuse, avec vue nocturne sur Los Angeles depuis un rooftop

Moins que zéro : l’Amérique qui s’effondre sous le poids de son propre luxe

Avant même American Psycho, il y a eu Moins que zéro. Premier cri d’alarme feutré de Bret Easton Ellis, ce roman de 1985 chronique l’agonie morale d’une jeunesse dorée livrée à elle-même, dans un Los Angeles où le soleil brille sur les corps absents. Clay, le narrateur, erre entre fêtes, cocaïne et prostitués mineurs avec la même apathie qu’on observe aujourd’hui sur un feed Instagram. Roman générationnel ? Peut-être. Mais surtout radiographie glacée d’un monde où les affects sont dissous dans le néon. Moins que zéro, c’est un cauchemar sans drame, une apocalypse molle. Et c’est peut-être pour cela qu’il continue de hanter.

Infos techniques et crédits

  • Auteur : Bret Easton Ellis
  • Titre original : Less Than Zero
  • Année de publication : 1985
  • Éditeur : Simon & Schuster (USA), Robert Laffont (France)
  • Nombre de pages : 208
  • Genre : Roman, fiction contemporaine
  • Traduction française : Brice Matthieussent
  • Adaptation cinématographique : Moins que zéro (1987), réalisé par Marek Kanievska, avec Andrew McCarthy et Robert Downey Jr.

Présentation générale

Premier roman d’un jeune auteur de 21 ans, Moins que zéro s’impose d’emblée comme un électrochoc littéraire. Ellis y dissèque sans concession l’existence creuse de la jeunesse dorée de Los Angeles, entre drogues dures, fêtes sans fin et absence totale de repères moraux.

Si ce livre a marqué toute une génération, c’est parce qu’il ne se contente pas d’exhiber la décadence : il la raconte de l’intérieur, avec une froideur clinique qui laisse le lecteur pris au piège d’une spirale de nihilisme et d’autodestruction. Impossible de détourner le regard, même quand l’horreur se banalise.

Dès sa sortie, le roman devient un best-seller et propulse Ellis au rang de porte-étendard d’une nouvelle littérature désabusée. Il est souvent rapproché du « Brat Pack« , ce groupe d’auteurs des années 80 (Jay McInerney, Tama Janowitz) qui chroniquent les dérives de la jeunesse avec cynisme et lucidité.

Si Moins que zéro choque encore aujourd’hui, c’est parce qu’il pose une question toujours actuelle : peut-on être jeune, riche et en sécurité matérielle, et pourtant complètement perdu ?


L’actualité de Bret Easton Ellis à l’époque

Lorsque Moins que zéro paraît en 1985, Bret Easton Ellis est encore étudiant au Bennington College, une université qui a vu passer plusieurs écrivains majeurs. Il écrit ce premier roman en grande partie inspiré de son propre entourage et du mode de vie qu’il observe chez la jeunesse dorée californienne.

Dès la sortie du livre, le succès est immédiat. Les médias s’emparent du phénomène Ellis : il est invité sur les plateaux télévisés, interviewé par des magazines prestigieux comme The New York Times et Vanity Fair. Son roman est perçu à la fois comme une œuvre générationnelle et comme une charge implacable contre le vide moral d’une classe sociale privilégiée.

En parallèle, la culture pop des années 80 explose : le cinéma, la musique et la mode glorifient un hédonisme tapageur. Des films comme The Breakfast Club ou Wall Street illustrent les contrastes d’une époque marquée par la démesure et le capitalisme triomphant. Dans ce contexte, Moins que zéro agit comme un contrepoint glaçant, révélant l’envers du décor d’un rêve américain en pleine désillusion.


Les thèmes et qualités du livre

Le vide existentiel et l’absence de repères moraux

On pourrait croire que naître dans l’opulence à Los Angeles offre un avenir radieux. Ellis démonte ce fantasme avec une froideur clinique : l’argent ne comble ni le vide intérieur, ni l’absence de valeurs. Les personnages errent dans un tourbillon d’ennui et d’auto-destruction, incapables de ressentir autre chose qu’un besoin toujours croissant de stimulation.

Le vide existentiel n’est pas l’apanage des adolescents décadents de L.A. Il prend aussi racine dans le désespoir feutré d’un ingénieur agronome en bout de course, comme le montre Sérotonine de Michel Houellebecq.

La jeunesse dorée et son autodestruction

Les parents de ces jeunes pensent que couvrir leurs enfants de cadeaux et de privilèges suffira à faire d’eux des adultes équilibrés. Mauvaise pioche ! Entre consommation effrénée de drogues, relations superficielles et déchéance morale, Ellis met en scène une descente aux enfers où tout est permis, mais où plus rien n’a de sens.

Le consumérisme et l’ultra-matérialisme

Les héros de Moins que zéro sont entourés de luxe, mais vivent dans un monde déshumanisé où même les émotions s’achètent et se vendent. L’argent ne sert qu’à alimenter une frénésie du vide. La seule chose qui semble encore avoir de la valeur ? L’image que l’on projette.

L’aliénation émotionnelle

Dans ce monde de néons et de fêtes sans fin, les liens humains sont inexistants. Les personnages ne s’aiment pas, ne s’écoutent pas, ne se soucient même pas de leur propre sort. Ellis dresse un portrait glaçant d’une génération incapable d’empathie, et qui ne sait plus que consommer – substances, corps, expériences – sans jamais rien ressentir.

Un style minimaliste et détaché

Ellis ne décrit pas, il énonce. Son style, froid et factuel, amplifie la sensation de désenchantement et de détachement. Aucun jugement explicite, aucune condamnation morale, juste un constat implacable. Ce dépouillement narratif renforce l’effet de malaise et plonge le lecteur dans l’horreur douce et anesthésiée du récit.


La place du livre dans l’œuvre de l’auteur et dans la littérature en général

Un premier roman fondateur

Avec Moins que zéro, Ellis pose les bases de son univers : un monde où le nihilisme, le consumérisme et l’amoralité règnent en maîtres. Ce premier roman annonce des œuvres plus extrêmes comme American Psycho, où la critique sociale devient encore plus acerbe.

Un jalon du « Brat Pack »

Ellis s’inscrit dans ce courant d’auteurs des années 80 qui exposent sans fard les dérives de leur génération. À l’instar de Jay McInerney (Bright Lights, Big City), il capture une époque, une atmosphère et une certaine déchéance de la jeunesse privilégiée.

Une influence persistante

Le style froid et détaché d’Ellis a marqué de nombreux auteurs contemporains. On retrouve son empreinte dans des œuvres de fiction qui explorent la vacuité du monde moderne, du roman noir au cinéma indépendant.

Là où Ellis filme l’abîme avec une caméra fixe, Las Vegas Parano de Terry Gilliam transforme la même désillusion en carnaval psychédélique. Deux faces du même gouffre.

Une œuvre toujours pertinente

Presque quarante ans après sa publication, Moins que zéro conserve toute sa force. Si les excès de la jeunesse dorée se manifestent différemment aujourd’hui (réseaux sociaux, influenceurs, NFT ?), le vide existentiel qu’il décrit reste le même.


Synthèse : Quand lire ce livre ? Qu’en attendre ?

Moins que zéro est le compagnon idéal d’une nuit blanche à observer le vide intersidéral de notre monde moderne. À lire un soir de fête trop arrosé, quand le bruit devient silence et que l’euphorie cède la place à l’angoisse existentielle. Il rappelle qu’on peut tout avoir et n’être rien. Ironique, non ?

Ellis nous offre ici une radiographie d’un monde en perdition, un miroir cruel tendu à une société qui confond opulence et épanouissement. À mettre entre toutes les mains… surtout celles de parents persuadés que leur carte Amex peut remplacer l’amour et l’éducation.

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