Kanye sur scène pendant le Yeezus Tour, portant un masque de cristaux et se tenant sur une scène apocalyptique devant ses danseuses

« Yeezus » : quand Kanye West a touché les ténèbres

Infos techniques et crédits

Titre de l’album : Yeezus

Artiste : Kanye West

Date de sortie : 18 juin 2013

Labels : Def Jam Recordings, Roc-A-Fella Records

Durée totale : 40 minutes et 1 seconde

Liste des titres :

  1. « On Sight » – 2:36
  2. « Black Skinhead » – 3:08
  3. « I Am a God » – 3:51
  4. « New Slaves » – 4:16
  5. « Hold My Liquor » – 5:26
  6. « I’m in It » – 3:54
  7. « Blood on the Leaves » – 6:00
  8. « Guilt Trip » – 4:03
  9. « Send It Up » – 2:58
  10. « Bound 2 » – 3:49

Équipe artistique et technique :

  • Direction créative : Kanye West
  • Assistant directeur créatif : Virgil Abloh
  • Directeur artistique et consultant musical : Matthew Williams
  • Production exécutive : Kanye West, Rick Rubin
  • Producteurs : Kanye West, Daft Punk, Mike Dean, Arca, Hudson Mohawke, Travis Scott, entre autres
  • Ingénieurs du son : Noah Goldstein, Anthony Kilhoffer, Andrew Dawson, Mike Dean
  • Mixage : Manny Marroquin, Mike Dean, Noah Goldstein
  • Mastering : Vlado Meller
  • Enregistré aux : No Name Hotel (Paris), Shangri-La Studios (Malibu), et autres lieux

Particularités de la production :

L’album se distingue par son minimalisme et son approche abrasive, mêlant des influences de l’industrial, de l’acid house, du punk et du hip-hop. Si vous êtes un lecteur habituel de LHLPS, vous connaissez déjà mon intérêt pour la musique fusion

Utilisation de samples éclectiques, notamment :

  • « On Sight » contient une interpolation de « He’ll Give Us What We Really Need » interprété par le Holy Name of Mary Choral Family.
  • « I Am a God » sample « Forward Inna Dem Clothes » de Capleton et « Are Zindagi Hai Khel » de Rahul Dev Burman.
  • « New Slaves » intègre « Gyöngyhajú lány » du groupe hongrois Omega.
  • « Blood on the Leaves » utilise « Strange Fruit » interprété par Nina Simone.
  • « Bound 2 » sample « Bound » de Ponderosa Twins Plus One et « Sweet Nothin’s » de Brenda Lee.

Collaborations et participations :

  • Voix additionnelles : Justin Vernon (Bon Iver), Chief Keef, Kid Cudi, Assassin, King L, Charlie Wilson, Frank Ocean
  • Contributions notables :
    • Daft Punk a co-produit plusieurs titres, dont « On Sight », « Black Skinhead » et « I Am a God ».
    • Rick Rubin est intervenu en tant que producteur exécutif dans les dernières phases de production pour épurer et minimaliser le son de l’album.

L’actualité de Kanye West en 2013

L’année 2013 marque une période particulièrement intense et prolifique pour Kanye West, tant sur le plan artistique que personnel.

  • Lancement de la tournée Yeezus : En septembre 2013, Kanye annonce sa première tournée solo en cinq ans, la « Yeezus Tour », avec Kendrick Lamar en première partie. Cette tournée, qui débute en octobre, est saluée pour son ambition artistique et sa mise en scène audacieuse.
  • Controverses médiatiques : Tout au long de l’année, Kanye est au cœur de plusieurs polémiques, notamment en mai 2013 lorsqu’il se heurte verbalement à des paparazzis après s’être cogné la tête. Ces incidents alimentent les débats sur son comportement et sa relation avec les médias.
  • Projets parallèles : En décembre 2013, Adidas annonce une collaboration officielle avec Kanye pour une ligne de vêtements, marquant le début de la célèbre collection « Adidas Yeezy ».

Cette période est donc caractérisée par une créativité débordante et une présence médiatique omniprésente, reflétant l’énergie brute et l’audace artistique que l’on retrouve dans Yeezus.

Analyse des morceaux de Yeezus

L’album est une déconstruction brutale du hip-hop traditionnel, oscillant entre rage, minimalisme et expérimentation sonore. Chaque morceau a sa propre identité, souvent marquée par une approche agressive et un sound design abrasif.

1. « On Sight »

Dès les premières secondes, Kanye nous balance un beat chaotique signé Daft Punk, où des synthés dissonants tranchent comme des lames de rasoir. Il annonce immédiatement la couleur : « Yeezus season approaching, fuck whatever y’all been hearing ». Le titre illustre parfaitement l’idée de rupture, avec une structure déconstruite et un interlude gospel incongru, qui renforce encore le caractère imprévisible du morceau.

2. « Black Skinhead »

Un des morceaux les plus emblématiques de l’album, porté par un rythme martial et des respirations haletantes. Kanye canalise l’énergie du punk et du rock industriel (le morceau rappelle The Beautiful People de Marilyn Manson) pour livrer une critique acerbe du racisme et de la célébrité. Le flow est plus scandé que rappé, renforçant cette impression d’hymne de guerre.

3. « I Am a God »

Titre à la fois mégalomane et ironique, où Kanye pousse la provocation à son paroxysme (« I am a God, so hurry up with my damn croissants ») tout en instillant un sentiment de paranoïa et d’urgence. Le morceau est traversé par des cris angoissants et une production claustrophobique signée Daft Punk. Une explosion d’ego qui finit en implosion sonore.

4. « New Slaves »

L’un des moments les plus puissants de Yeezus, où Kanye dénonce les nouvelles formes d’oppression raciale et économique. Le minimalisme du beat amplifie la tension, jusqu’à ce que le morceau bascule dans une outro grandiose, avec une envolée vocale presque lyrique sur un sample du groupe hongrois Omega.

5. « Hold My Liquor »

Une introspection noyée dans l’alcool et le regret, portée par un refrain fantomatique de Justin Vernon (Bon Iver) et un couplet détaché de Chief Keef. Le morceau joue sur un contraste saisissant entre la froideur de l’instrumentation et la vulnérabilité du texte.

6. « I’m in It »

Sans doute le titre le plus sexuellement explicite de l’album, où Kanye enchaîne les images crues sur une production étouffante. Assassin, un toaster jamaïcain, vient ajouter une touche dancehall dystopique à ce cauchemar sonore.

7. « Blood on the Leaves »

Un des morceaux les plus controversés, car il superpose une histoire de rupture amoureuse sur un sample de Strange Fruit de Nina Simone, une chanson emblématique de la lutte contre le lynchage des Noirs aux États-Unis. La production est massive, avec un drop qui transforme le morceau en hymne quasi-trap.

8. « Guilt Trip »

Un titre plus aérien, mais toujours hanté par le regret et la rancœur. Kid Cudi pose un refrain plaintif sur une production synthétique et glaciale. Kanye y évoque des douleurs amoureuses et des remords, dans une atmosphère plus introspective.

9. « Send It Up »

Un pur moment d’agression électronique, dominé par un beat industriel et une voix d’outre-tombe de King L. Le morceau s’inscrit dans une tradition club apocalyptique, où la fête vire au cauchemar.

10. « Bound 2 »

Après la brutalité du reste de l’album, Bound 2 surprend par son sample soulful et son ambiance plus chaleureuse. Pourtant, sous cette façade nostalgique, Kanye continue d’explorer l’amour et la célébrité avec cynisme. Un faux happy end, où l’on sent que l’apocalypse couve encore sous la surface.

Yeezus dans la discographie de Kanye West et dans l’histoire de la musique

Une anomalie dans l’œuvre de Kanye West

Avant Yeezus, Kanye West avait déjà amorcé un virage artistique avec My Beautiful Dark Twisted Fantasy (2010), un album maximaliste où il repoussait les frontières du hip-hop avec une orchestration flamboyante et une production ultra-travaillée. Pourtant, rien ne laissait présager un virage aussi abrupt que Yeezus. Là où MBDTF était baroque et luxuriant, Yeezus est austère et tranchant, comme si Kanye avait décidé d’arracher tout le superflu pour ne garder que les os et les nerfs.

L’album marque aussi une rupture avec ses albums suivants. The Life of Pablo (2016) réintroduira des sonorités plus accessibles et chaotiques, Ye (2018) explorera des thèmes introspectifs et dépressifs, tandis que Jesus Is King (2019) plongera dans le gospel. Avec le recul, Yeezus apparaît comme un éclair dans sa discographie : un moment de pure agressivité avant que Kanye ne se disperse à nouveau dans ses obsessions mégalomanes et spirituelles.

L’impact de Yeezus sur la musique contemporaine

Si l’album a déconcerté à sa sortie, il a rapidement été reconnu comme un tournant majeur du hip-hop et de la musique populaire en général.

  • Influence sur le rap expérimental : Yeezus a ouvert la voie à une génération d’artistes qui ont osé expérimenter avec des sonorités plus abrasives. On pense à Death Grips, mais aussi à Travis Scott, Playboi Carti ou JPEGMAFIA, qui ont tous repris certains aspects de l’album dans leur propre musique.
  • Industrial et électro dans le mainstream : Kanye s’est directement inspiré de l’industrial (Nine Inch Nails, Throbbing Gristle) et de l’électro brutale (Daft Punk, Gesaffelstein, Arca). Ces influences se retrouveront ensuite dans la pop et le rap des années 2010.
  • Une référence incontournable : Aujourd’hui, Yeezus est souvent cité comme l’un des albums les plus influents de la décennie, une preuve que l’audace et la radicalité peuvent avoir un impact durable sur l’industrie musicale.

Yeezus : la bande-son idéale pour…

Si Yeezus est un album qui divise, c’est parce qu’il refuse tout confort. Il n’offre ni refuge, ni mélodie réconfortante, ni nostalgie sucrée. C’est un album de tension, de rage et de chaos. Mais dans quels contextes s’intègre-t-il le mieux ?

  • Se lever avec une gueule de bois et décider que le monde doit payer
    On Sight en guise de réveil, avec ses synthés tranchants comme des alarmes de fin du monde. Vous ouvrez les yeux, la lumière vous agresse, votre corps est en miettes. Vous cherchez un café mais vous tombez sur du vide. Le ton de la journée est donné.
  • Traverser une ville hostile sous une pluie froide
    Vous marchez dans une rue impersonnelle, les néons clignotent, des silhouettes filent dans la nuit. New Slaves et Black Skinhead transforment l’espace urbain en une dystopie où tout semble oppressant. Vous êtes un étranger dans votre propre ville.
  • Faire du sport en repoussant ses limites jusqu’à l’auto-destruction
    Vous êtes sur le point d’abandonner, mais I Am a God hurle dans vos écouteurs. Kanye vous rappelle que vous êtes censé être un dieu. Vous continuez, la douleur n’est qu’une illusion.
  • Fixer un plafond fissuré après une nuit d’excès et de regrets
    Hold My Liquor et Blood on the Leaves deviennent la bande-son de votre désillusion. Vous avez tout gâché. Encore une fois. Et le pire, c’est que vous recommencerez.
  • Préparer une vengeance
    Vous êtes seul, dans votre voiture, la nuit. Vous attendez, les phares d’un autre véhicule se reflètent sur votre pare-brise. Send It Up gronde en arrière-plan. Quelque chose d’inévitable va se produire.

Conclusion

Yeezus est un album pour ceux qui refusent la douceur, pour ceux qui veulent du rugueux, du brut, du sans-filtre. Il ne s’écoute pas en fond sonore. Il s’impose, il agresse, il transforme le banal en tension permanente. Un disque pour les jours où tout doit brûler.

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