caricature d’un gouvernement chancelant, pris dans des querelles parlementaires

Ve République : ce qu’elle devait être, ce qu’elle est devenue

La Cinquième République, instaurée en 1958, a profondément transformé le paysage politique français en réponse aux instabilités chroniques de la Quatrième République. Elle a introduit un exécutif fort, avec un Président doté de pouvoirs étendus, visant à assurer une stabilité gouvernementale accrue. Cependant, au fil des décennies, des critiques se sont élevées concernant une présidentialisation excessive du régime, une marginalisation du Parlement et une dilution de la souveraineté nationale, notamment en raison de l’intégration européenne. Ces évolutions ont conduit certains à plaider pour une refonte institutionnelle, tandis que d’autres, à l’instar de Michel Onfray, estiment que les dérives actuelles résultent d’une dénaturation des principes originels de la Cinquième République.

Contexte historique : de la Quatrième à la Cinquième République

La Quatrième République : l’instabilité en mode institutionnel

Ah, la Quatrième République… Cette époque bénie où les gouvernements tombaient plus vite qu’un ministre pris la main dans le pot de confiture. Entre 1946 et 1958, la France a vu défiler pas moins de 24 gouvernements en 12 ans. Une moyenne qui ferait passer les feuilletons télé pour des modèles de stabilité.

Pourquoi un tel chaos ? Parce que la Quatrième République était une république parlementaire pure et dure, où le président du Conseil (l’équivalent du Premier ministre aujourd’hui) devait composer avec une Assemblée toute-puissante. Résultat : dès qu’une décision déplaisait, un vote de défiance et hop, un gouvernement de plus aux oubliettes. Ajoutez à cela la guerre d’Indochine, les prémices de la guerre d’Algérie et une croissance économique encore fragile, et vous obtenez un cocktail explosif.

Le retour du Général : quand De Gaulle met fin au bazar

En 1958, la situation devient ingérable. L’Algérie s’embrase, et les militaires font comprendre que la patience a ses limites. Qui appeler à la rescousse ? Le grand Charles, évidemment. Après avoir boudé la scène politique pendant une décennie, De Gaulle revient avec un programme clair : donner enfin un cadre stable au pays, et surtout, éviter que la France ne devienne un clone de la Quatrième République.

La Cinquième République naît donc en octobre 1958, avec une nouvelle Constitution pensée pour en finir avec la valse des gouvernements et instaurer un exécutif fort. Le Président, jusque-là simple potiche symbolique, devient le maître du jeu politique, doté de pouvoirs renforcés, notamment grâce à l’article 16 (les pleins pouvoirs en cas de crise) et l’article 49.3 (le joker du Premier ministre pour faire passer une loi sans vote).

Les apports majeurs de la Cinquième République

Un exécutif qui a enfin des muscles

Avec la Cinquième République, on passe d’un régime où le président coupait des rubans et posait sur des photos de classe à un système où il prend enfin les rênes du pays. Terminé les gouvernements éjectés toutes les cinq minutes : désormais, c’est le chef de l’État qui impulse la politique nationale, avec un Premier ministre qui applique la feuille de route présidentielle (ou qui saute s’il fait du zèle).

L’élection présidentielle au suffrage universel direct, instaurée en 1962, achève cette transformation. Désormais, le peuple choisit directement son président, renforçant encore son autorité. C’est un changement capital : il faut désormais une figure forte et une vision à long terme, et non plus un simple technocrate interchangeable à la merci des partis politiques.

Stabilité politique : adieu la République des girouettes

Grâce à ce nouveau cadre institutionnel, la Cinquième République met fin au grand cirque des gouvernements éphémères. Depuis 1958, la France n’a connu qu’une dizaine de présidents et une trentaine de Premiers ministres, soit une stabilité infiniment supérieure à la période précédente.

Cette solidité a permis au pays de se moderniser à marche forcée :

  • Les Trente Glorieuses ont vu une croissance spectaculaire, portée par un État stratège capable de mener de grands projets industriels.
  • La France est devenue une puissance nucléaire et spatiale.
  • La décolonisation s’est faite dans un cadre institutionnel qui a évité un effondrement chaotique.

Bref, la Cinquième République a donné à la France les outils d’un État fort, avec un président qui peut gouverner sans être à la merci des querelles de couloir à l’Assemblée.

Évolutions et critiques contemporaines

Un président omnipotent… ou impuissant ?

Ce qui était une force sous De Gaulle — un président au-dessus des partis, garant de l’intérêt national — s’est progressivement transformé en une hyper-présidence où l’exécutif étouffe le Parlement. Avec le quinquennat instauré en 2000 et l’inversion du calendrier électoral (législatives après la présidentielle), le chef de l’État bénéficie généralement d’une majorité automatique, rendant l’Assemblée plus docile qu’un chiot bien dressé.

silhouette du président français sous forme de marionnette contrôlée par l’UE

Mais ironiquement, cette toute-puissance présidentielle s’accompagne d’une fragilité grandissante :

  • Un président incapable de dissoudre son propre impopularité : Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron… Tous ont fini par être détestés par une large partie des Français.
  • Un Parlement réduit au rôle de chambre d’enregistrement, incapable de peser sur les grandes décisions.
  • Des gouvernements qui usent et abusent du 49.3, faute de vrais débats démocratiques.

On est donc passés d’un président « arbitre » (De Gaulle) à un président « monarque », puis à un président « punching-ball » qui sert de cible aux colères populaires.

L’Europe, fossoyeur de la souveraineté nationale ?

Autre critique majeure : la délégation progressive du pouvoir à l’Union Européenne. De Gaulle voulait une France souveraine et indépendante ; aujourd’hui, de nombreux secteurs sont sous la tutelle de Bruxelles. Monnaie, commerce, agriculture, fiscalité… On se demande parfois si le président de la République française est encore autre chose qu’un gouverneur régional de l’Empire européen.

Le tournant s’est opéré avec le traité de Maastricht (1992), puis avec la construction progressive d’une Europe où les grandes décisions économiques et monétaires échappent aux États membres. Résultat :

  • La Banque Centrale Européenne décide de la politique monétaire.
  • La Commission Européenne impose des règles budgétaires strictes.
  • Le droit communautaire prime sur le droit national.

Là où De Gaulle pouvait dire « l’Europe oui, mais pas au détriment de la France », aujourd’hui, nos dirigeants se contentent de signer des traités contraignants avant d’expliquer qu’ils n’ont pas le choix.

Réformes envisagées et perspectives d’avenir

La VIe République : solution miracle ou fantasme de politicien ?

Certains veulent tout jeter à la poubelle et instaurer une VIe République. Mais à bien y regarder, cette idée est surtout un fourre-tout politique, chacun y projetant ses propres fantasmes :

  • La gauche radicale (Mélenchon en tête) rêve d’une VIe République plus parlementaire, où le pouvoir serait mieux réparti.
  • Les centristes et certains écologistes imaginent une VIe République plus participative, avec des référendums citoyens et une dose de démocratie directe.
  • Les souverainistes, eux, ne veulent pas forcément une VIe République, mais un retour aux principes gaulliens, avec un président fort et une réaffirmation de l’autorité nationale.

Dans les faits, une nouvelle République ne garantit rien. On peut changer le numéro sur la boîte, si le contenu reste le même… On risque juste de recréer une IVe République bis, avec une instabilité politique chronique et des gouvernements incapables de tenir plus d’un an.

dessin humoristique montrant des politiciens lançant des briques sur un mur portant l’inscription « Ve République », chacun y projetant sa propre version de la VIe

Retour aux sources : restaurer la Ve République originelle ?

Plutôt que de tout dynamiter, certains défendent une autre option : revenir à l’esprit initial de la Ve République. C’est notamment la position de penseurs comme Michel Onfray, qui estiment que si notre système ne fonctionne plus correctement, ce n’est pas à cause de la Constitution elle-même, mais parce qu’on l’a progressivement dénaturée.

Comment ?

  • Rétablir un vrai équilibre des pouvoirs, en redonnant plus de poids au Parlement et en limitant l’abus du 49.3.
  • Renforcer la souveraineté nationale, en réaffirmant la primauté du droit français sur le droit européen.
  • Repolitiser la fonction présidentielle, pour que le chef de l’État incarne un véritable projet national, plutôt que de se transformer en simple gestionnaire des affaires courantes.

En somme, ce serait moins une question de changer de République que de changer de pratiques politiques.

balance entre un livre de la Constitution de 1958 et une copie annotée et déchirée représentant la situation actuelle

La Ve République, malade de ses propres dérives

La Ve République a sauvé la France du chaos institutionnel, lui donnant une stabilité politique qui a permis des décennies de prospérité et d’indépendance. Mais au fil du temps, elle a été transformée, affaiblie, trahie par ceux-là mêmes qui auraient dû la défendre. L’exécutif, conçu pour être fort et visionnaire, oscille aujourd’hui entre autoritarisme procédurier et impuissance face aux contraintes européennes.

Faut-il alors tout jeter et embrasser l’utopie d’une VIe République ? Rien n’est moins sûr. Derrière les appels au changement, on trouve souvent les mêmes politiciens qui rêvent simplement de redistribuer les cartes en leur faveur. Plutôt que de réinventer la roue, peut-être faudrait-il simplement redonner à la Ve République son souffle originel, celui d’un État souverain et d’un pouvoir fort mais légitime.

Finalement, comme souvent en politique, ce n’est pas tant le cadre institutionnel qui est en cause que ceux qui l’occupent. Changer de République ne changera rien si ceux qui gouvernent restent les mêmes…

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