La République : un idéal ou un slogan creux ?
On l’entend partout. Dans la bouche des présidents, des ministres, des députés, des éditorialistes, des syndicats, des militants de tous bords. La République, ses valeurs, ses principes sacrés. Elle est brandie comme un bouclier, utilisée comme une matraque, convoquée pour légitimer n’importe quelle décision politique. Qui oserait être « contre la République » ? Personne, évidemment. Et pourtant, plus on l’invoque, moins on sait ce qu’elle recouvre réellement. Un mot magique, une formule creuse, un slogan publicitaire qui, à force d’être répété, finit par ne plus rien signifier.
Alors, remettons les choses à plat. Que signifie réellement vivre en République ? Quels droits, quels devoirs cela implique-t-il ? D’où vient cette idée politique et comment s’est-elle incarnée dans l’Histoire ? Et surtout, comment en est-on arrivé à ce que « les valeurs républicaines » servent à tout justifier, y compris leur propre contraire ?
Les fondements philosophiques et historiques : de Platon à la Ve République
Avant de devenir un mot creux qu’on balance en débat télévisé, la République a d’abord été une idée, un concept philosophique mûri pendant des siècles. Un idéal exigeant, qui devait garantir le bien commun et éviter les dérives du pouvoir absolu.
De Platon à Rousseau : la quête d’un régime juste
L’histoire commence avec Platon, qui, dans La République, imagine une cité parfaite gouvernée par des philosophes. Pour lui, la démocratie est une pente glissante vers l’anarchie, et seul un pouvoir éclairé peut garantir la justice. Une vision qui ferait hurler nos modernes défenseurs de la souveraineté populaire, mais qui souligne déjà un problème fondamental : comment concilier liberté et ordre, justice et efficacité ?
Cicéron, quelques siècles plus tard, pose les bases d’un équilibre entre monarchie, aristocratie et démocratie. Il veut une République où les élites éclairées dirigent, mais avec une participation du peuple. Déjà, on sent poindre cette tension entre élitisme et démocratie, qui hantera toutes les républiques futures.
Avec Rousseau, la République moderne prend forme : Du Contrat Social affirme que la souveraineté appartient au peuple et que l’État doit garantir la volonté générale. Liberté, égalité, participation citoyenne. Des principes magnifiques… en théorie.
La République dans l’Histoire : idéaux et trahisons
Dans les faits, la République a souvent eu du mal à incarner ces idéaux :
- La République romaine (509-27 av. J.-C.) repose sur un partage du pouvoir entre le Sénat et les tribuns du peuple. Belle promesse d’équilibre… qui finit en luttes de pouvoir et en dictature impériale.
- La Première République française (1792-1804) naît d’un grand élan démocratique, mais sombre très vite dans la Terreur. La guillotine comme instrument de justice républicaine, voilà un concept radical…
- La IIIe République (1870-1940) est la première à réellement s’installer en France, instaurant l’école laïque et la séparation de l’Église et de l’État. C’est le moment où l’idéal républicain s’ancre durablement, malgré l’instabilité politique.
- La Ve République (depuis 1958), elle, est un régime bâtard, mélange de démocratie et de pouvoir exécutif fort, où l’on parle beaucoup de République, mais où l’accumulation des réformes sécuritaires et des décisions verticales pose la question : la France est-elle encore une vraie République ?
Les droits et devoirs en République : une affaire à moitié comprise
Vivre en République, c’est avant tout bénéficier de droits garantis par la loi. C’est ce qui distingue ce régime du pouvoir arbitraire. Mais qui dit droits dit aussi devoirs, et c’est là que le bât blesse. Car si tout le monde se souvient des premiers, les seconds sont souvent relégués aux oubliettes…
Les droits : la belle promesse républicaine
Dans l’idéal, la République garantit :
- La liberté : d’expression, de conscience, de réunion. En théorie, on peut dire ce qu’on pense… sauf si ça dérange trop.
- L’égalité : devant la loi, sans distinction de race, de religion ou de fortune. Sur le papier, tout le monde est traité de la même façon. Dans les faits, il vaut mieux être puissant que pauvre quand on a des ennuis judiciaires.
- La fraternité : solidarité nationale, sécurité sociale, service public. L’État républicain protège, mais certains voudraient bien « rationaliser » tout ça (comprendre : couper dans les dépenses).
- La souveraineté populaire : droit de vote, élections libres. Mais avec une abstention record et des candidats qui se ressemblent tous, l’enthousiasme démocratique est en berne.

Les devoirs : la grande amnésie collective
La République ne se résume pas à une distribution de droits. Elle exige aussi des citoyens qu’ils respectent un certain nombre de principes :
- Respect des lois : logiquement, vivre en République implique de se plier aux règles communes. Sauf que certains (y compris ceux qui nous gouvernent) aiment les adapter à leur convenance.
- Participation à la vie démocratique : voter, débattre, s’impliquer. Mais qui a encore envie de le faire quand on a l’impression que rien ne change ?
- Respect des autres citoyens : liberté ne veut pas dire égoïsme forcené. Une idée parfois oubliée dans l’ère du « chacun pour soi ».
En somme, la République est un équilibre entre droits et devoirs. Mais aujourd’hui, on assiste à un déséquilibre flagrant : on exige des citoyens qu’ils respectent des devoirs sans toujours leur garantir les droits en retour.
L’hypocrisie moderne : « La République », un mot magique
La République est censée être un idéal politique, un cadre de vie démocratique où chacun est libre et égal en droit. Mais aujourd’hui, elle est surtout devenue une incantation. Un mot qu’on brandit pour se donner raison, un label qu’on colle sur tout et son contraire.
« La République, c’est moi ! »
On se souvient tous de Jean-Luc Mélenchon, furieux lors d’une perquisition, proclamant : « La République, c’est moi ! » Une phrase devenue culte, symbole de cette confusion entre l’idéal et l’ego. Chacun, à sa façon, veut s’approprier la République, l’incarner à lui seul.
Dans le même genre, certains parlent de « République irréprochable » tout en multipliant les casseroles judiciaires. D’autres défendent la « morale républicaine » avec des alliances politiques douteuses. Bref, être « républicain » ne garantit plus une grande cohérence.
« L’ordre républicain », ou le joker autoritaire
Dès qu’un gouvernement veut justifier une politique sécuritaire, il dégaine « l’ordre républicain ». C’est pratique : personne ne peut être contre. Mais cette notion est à géométrie variable. Manifester est un droit républicain, sauf quand c’est trop bruyant. La liberté d’expression est un pilier de la République, sauf quand elle dérange. La République devait être le rempart contre l’arbitraire, elle devient parfois son alibi.
« Les valeurs républicaines », cette formule fourre-tout
C’est sans doute l’expression la plus floue du moment. On nous parle des « valeurs républicaines », mais sans jamais les définir clairement. Selon qui parle, elles peuvent désigner :
- La laïcité (mais laquelle ? Est-il toujours prioritaire de faire reculer le Catholicisme comme en 1905 ?)
- L’égalité homme-femme (mais certains oublient l’égalité salariale)
- La liberté d’expression (mais pas pour tout le monde)
Finalement, « les valeurs républicaines » sont surtout un outil d’exclusion : on les brandit pour dire qui est « républicain » et qui ne l’est pas, un peu comme une religion qui aurait ses hérétiques.

Finalement, faut-il sauver la République d’elle-même ?
À force d’être invoquée dans tous les sens, la République risque de perdre toute substance. Elle est censée incarner un idéal : la liberté, l’égalité, la souveraineté du peuple. Mais aujourd’hui, elle est surtout un prétexte, un mot creux qui justifie aussi bien la répression des manifestations que les discours électoralistes.
Alors, faut-il la sauver d’elle-même ? Peut-être faudrait-il déjà commencer par redonner du sens aux mots. La République n’est pas une marque déposée par les politiciens, c’est un projet collectif qui exige des droits, mais aussi des devoirs. Elle ne se résume pas à des formules magiques, elle se pratique au quotidien, dans le respect des principes qu’elle prétend défendre.
Si la République est en danger, ce n’est pas à cause de ses « ennemis » désignés, mais bien parce qu’elle est devenue une coquille vide, instrumentalisée par ceux qui sont censés la faire vivre. La sauver, ce n’est pas la sacraliser dans des discours solennels : c’est la faire exister, réellement.