Héliogabale ou l’orgie des dieux : Antonin Artaud en pleine possession
Œuvre singulière et envoûtante, Héliogabale ou l’Anarchiste couronné d’Antonin Artaud bouscule les genres autant que les esprits. À mi-chemin entre essai, biographie hallucinée et incantation poétique, ce texte publié en 1934 explore la figure d’un empereur romain transformé en icône du chaos, de l’anarchie et du sacré dévoyé. Plus qu’un livre, c’est une expérience littéraire totale, un cri venu des profondeurs de l’âme, où l’Histoire devient matière à convulsion.
Informations techniques et crédits
- Auteur : Antonin Artaud
- Titre complet : « Héliogabale ou l’Anarchiste couronné »
- Éditeur : Initialement publié par Denoël et Steele en 1934 ; réédité par Gallimard dans la collection « L’Imaginaire » en 1979.
- Nombre de pages : 154 pages
- ISBN : 9782070284726
- Genre : Essai, biographie romancée
- Langue : Français
Cette œuvre se distingue par sa structure hybride, mêlant récit historique, analyse philosophique et prose poétique. Artaud y explore la figure de l’empereur romain Héliogabale, qu’il érige en symbole de l’anarchie et de la transgression absolue.

L’actualité de l’auteur à l’époque de la publication (1934)
Contexte personnel et artistique d’Artaud en 1934
- Il vient de rompre avec le mouvement surréaliste d’André Breton, qu’il trouve trop dogmatique et figé dans une posture révolutionnaire qu’il juge artificielle.
- Il se consacre au Théâtre de la Cruauté, un concept radical où le langage est transcendé par des cris, des gestes et une intensité physique proche du rituel initiatique.
- Il publie cette même année un autre texte fondamental : « Le Théâtre et son double », où il expose sa vision d’un théâtre total, à la fois rituel et violent.
Climat culturel et politique de l’époque
- En France, les tensions politiques sont vives : montée des ligues d’extrême droite, crise économique, instabilité gouvernementale.
- Dans le domaine littéraire, le surréalisme domine encore, mais de nouvelles formes d’expérimentations émergent (écriture automatique, hybridation des genres).
- Au cinéma, les films de Luis Buñuel et Jean Cocteau explorent des univers hallucinés qui entrent en résonance avec la démarche d’Artaud.
Les thèmes et qualités du livre
La figure d’Héliogabale : empereur, anarchiste, mystique et monstre
Artaud ne voit pas en Héliogabale un simple tyran décadent. Il en fait une figure quasi divine, un prêtre-sorcier qui détruit Rome par excès de sacré et de chaos.

- Héliogabale est androgyne, refusant les normes de genre et imposant une féminisation du pouvoir impérial.
- Il incarne la révolte absolue contre les structures politiques et sociales de Rome.
- Il se pense comme une incarnation vivante du dieu solaire, imposant un culte héliocentrique délirant.
L’écriture d’Artaud : un cri plus qu’un récit
- Le livre est un brûlot poétique où les faits historiques se dissolvent dans un flot de phrases convulsives, proches du manifeste mystique.
- Pas de narration linéaire : Artaud fracasse la biographie en éclats de visions, de considérations philosophiques et de fulgurances hallucinées.
- La prose est incantatoire, chargée de métaphores organiques et cruelles, comme si le texte lui-même saignait.
Sexe, mort et anarchie : les trois piliers du livre
- Le sexe : Héliogabale impose une dissolution des genres et une orgie permanente. Son règne est une célébration du désir sans limites.
- La mort : Rome est noyée dans une démesure sanglante. L’Empereur fait assassiner ses ennemis et les nobles dans un rituel de destruction continue.
- L’anarchie : l’ordre social et religieux est pulvérisé. Héliogabale défait la logique du pouvoir en la poussant à l’absurde et au grotesque.
La place du livre dans l’œuvre d’Artaud et dans la littérature en général
« Héliogabale » dans l’œuvre d’Artaud : un sommet de son délire mystique
- L’aboutissement de sa rupture avec le surréalisme : Artaud refuse toute structure imposée, tout dogme, même révolutionnaire. Son écriture devient incantatoire, organique, anarchique.
- Un manifeste crypté du Théâtre de la Cruauté : même si le livre n’est pas une pièce de théâtre, il en contient toute l’essence. Héliogabale est une figure qui incarne physiquement, viscéralement, le chaos et la transgression que veut voir Artaud sur scène.
- Une annonce de sa dérive mystique et paranoïaque : après ce livre, Artaud basculera peu à peu dans une pensée ésotérique plus opaque, jusqu’à ses écrits ultimes où il prétend renaître en dieu visionnaire.
Un ovni littéraire, entre biographie, poésie et pamphlet anarchiste
- Ni roman, ni essai, il mêle histoire, hallucination, incantation.
- C’est une biographie réinventée, où la réalité historique est un prétexte à une réécriture furieuse du monde.
- Artaud dépasse Nietzsche et Lautréamont dans sa violence poétique, créant une œuvre où la pensée est pure déflagration.

Une influence souterraine mais radicale
- Les écrivains hallucinés : Antonin Artaud a inspiré des auteurs comme Georges Bataille, William S. Burroughs, Jean Genet, fascinés par la dissolution du langage et la puissance du sacrilège.
- Le théâtre expérimental : Son idée du théâtre total et cruel trouve des héritiers dans l’œuvre de Grotowski, Bob Wilson et le Living Theatre.
- La musique extrême : Certains musiciens, notamment dans le metal ou l’industriel (Marilyn Manson, Throbbing Gristle, Diamanda Galás), revendiquent Artaud comme influence pour sa vision du corps et du cri comme outils de subversion.
Synthèse : Quand lire Heliogabale ? Qu’en attendre ?
À lire lors d’une nuit d’insomnie fiévreuse
Si ton cerveau refuse de se calmer, si la réalité te semble trop fade, alors plonge dans ce texte électrique et incandescent. Il ne t’aidera pas à dormir, mais il transformera ton insomnie en transe.
Pour un voyage en solitaire, dans un train vers nulle part
Oublie les paysages qui défilent. Lis Artaud et ressens l’effondrement de Rome en toi. Sens la folie de l’Empereur dégouliner dans les interstices de la réalité. Arriveras-tu à destination indemne ? Rien n’est moins sûr.
À déguster un matin de gueule de bois existentielle
Quand le monde est flou, qu’il n’y a plus de repères, Artaud te prend par la gorge et t’entraîne dans un délire plus grand que le tien. Idéal pour se réveiller brutalement ou sombrer encore plus profond.
Avant de déclencher une catastrophe
Tu sens que le monde doit brûler, que l’ordre établi est une imposture ? Lis « Héliogabale » avant de prendre une décision irréversible. Peut-être te calmera-t-il… ou alors il te poussera à aller au bout du désastre.
Lors d’une messe noire improvisée
Le texte d’Artaud est une incantation hérétique. Le lire à voix haute sous une lumière rouge sang pourrait bien ouvrir une porte interdite. À tes risques et périls.
En résumé : une lecture à ne pas prendre à la légère
Ce livre n’est pas un divertissement. Il est une possession, une tempête où Héliogabale et Artaud fusionnent pour exploser dans ta tête. Lis-le si tu veux ressentir la fureur du sacrilège et la beauté du chaos.