L'écriture inclusive complique beaucoup la production et la compréhension des messages écrits
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De la créativité à l’expérimentation : les dérives de l’écriture inclusive à l’école

La polémique récente autour d’un examen en écriture inclusive à l’Université Lyon 2 a relancé un débat passionné sur la langue française et ses évolutions. Lors d’un examen de droit de la famille, des étudiants de première année ont été confrontés à un texte rédigé dans une forme radicale d’écriture inclusive, où les marques de genre étaient effacées au profit d’un sabir complexe et peu accessible. Si l’objectif affiché de cette innovation typographique est de promouvoir l’égalité entre les genres, ses applications concrètes suscitent des controverses, notamment dans des disciplines aussi exigeantes que le droit.

Cette situation reflète un conflit plus large : celui entre le besoin de justice sociale et l’impact des moyens choisis pour l’atteindre. À titre personnel, bien que solidaire des luttes pour l’égalité, je ne peux m’empêcher de voir dans l’écriture inclusive une tentative malavisée de répondre à des problèmes qui mériteraient des solutions plus profondes et plus concrètes. Cet article propose d’explorer les faits, d’analyser les arguments critiques, et de réfléchir aux véritables enjeux que cette polémique révèle.

Contexte et faits rapportés

Le 15 mai 2023, un éditorial d’Emmanuelle Ducros sur Europe 1 a attiré l’attention sur une controverse à l’Université Lumière Lyon 2. Lors d’un examen de Licence 1 en droit de la famille, les étudiants ont découvert un sujet rédigé dans une forme particulièrement complexe d’écriture inclusive, qualifiée de « trans-inclusif ». Ce style, loin du simple point médian, remplace les marques de genre par des lettres alternatives comme « x », « ae » ou « z ». Ainsi, des phrases telles que « Ael se sont concertéx pour divorcer » ont suscité l’incompréhension et l’irritation d’une partie des candidats.

Le syndicat étudiant UNI a dénoncé cette initiative, relayant leur indignation dans les colonnes du journal Le Progrès. Si le sujet de l’examen évoquait un cas fictif de divorce dans un couple non binaire – un choix narratif en phase avec les évolutions sociétales –, c’est bien la forme inclusive du texte qui a déclenché le tollé.

Il convient de noter que l’écriture inclusive a déjà été bannie des administrations publiques par Édouard Philippe en 2017, et de l’Éducation nationale par Jean-Michel Blanquer en 2021. Cependant, les universités jouissent d’une liberté académique, permettant aux enseignants de choisir leurs pratiques pédagogiques, tant qu’elles respectent la loi.

Dans ce cas précis, le professeur a même laissé aux étudiants la liberté d’utiliser ou non l’écriture inclusive dans leurs réponses, ce qui a été perçu comme une source de confusion supplémentaire. Pour ses détracteurs, cette initiative académique relève d’un excès de zèle idéologique et d’une rupture avec les exigences de clarté propres au droit.

Arguments critiques

L’écriture inclusive, telle qu’elle a été utilisée dans cet examen, soulève de nombreuses critiques, tant sur le plan de l’accessibilité que sur celui de la pertinence pédagogique.

Un obstacle à l’accessibilité

Les détracteurs soulignent que cette forme de langage, en particulier sa version trans-inclusif, complique inutilement la lecture et l’écriture. Pour les étudiants dyslexiques, étrangers ou stressés par l’examen, ces textes deviennent des barrières supplémentaires. Alors que l’enseignement supérieur devrait viser l’inclusion et l’équité, l’adoption de ce type d’écriture semble contre-productive, excluant précisément ceux qui rencontrent déjà des difficultés avec la langue française.

Incompatibilité avec les exigences du droit

Le droit repose sur une langue claire, précise et compréhensible par tous. La rédaction d’un texte juridique doit éviter toute ambiguïté pour garantir une interprétation commune. En introduisant des constructions grammaticales inhabituelles et des néologismes complexes, l’écriture inclusive compromet cette clarté. Dans une matière où les nuances sont cruciales, une telle expérimentation langagière s’éloigne des fondamentaux nécessaires à la formation de futurs juristes.

Le décalage avec les priorités éducatives

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : environ 31 % des étudiants en première année de droit abandonnent leurs études, un pourcentage qui révèle des enjeux structurels bien plus urgents. L’accompagnement pédagogique, le soutien méthodologique et la lutte contre l’échec universitaire devraient primer sur des innovations langagières jugées accessoires par une majorité d’observateurs. En adoptant l’écriture inclusive dans ce contexte, les enseignants risquent de détourner leur énergie des réformes essentielles pour le succès des étudiants.

L’écriture inclusive : un phénomène en expansion au Québec

Si la polémique autour de l’écriture inclusive reste vive en France, le Québec semble emprunter une voie différente. Un article récent, publié le 8 décembre 2024 par un groupe de chercheurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), souligne la progression de cette pratique dans le système éducatif québécois. Loin de se limiter aux universités, où elle est bien ancrée depuis des décennies, l’écriture inclusive commence à s’immiscer dans les niveaux primaire et secondaire. Une étude en cours vise à sonder les perceptions et pratiques des enseignants sur le terrain, afin de mieux comprendre les opportunités et défis liés à son application en classe.

Ce mouvement, porté par une vision inclusive de l’éducation, s’inscrit dans un contexte où le système scolaire québécois met l’accent sur l’égalité des genres et la diversité des identités. Contrairement aux arguments souvent avancés en France sur la complexité et les risques d’exclusion, les premières données issues de la recherche psycholinguistique au Québec suggèrent que l’écriture inclusive pourrait avoir des effets positifs sur les représentations mentales des jeunes, notamment en renforçant des valeurs d’égalité et d’inclusion.

Cependant, que la langue soit un terrain d’expérimentation pour les poètes, les écrivains ou les chercheurs, cela relève d’une dynamique créative et féconde que l’on peut encourager. Mais qu’on fasse des élèves les cobayes de ces expérimentations me semble dangereux, profondément inquiétant, et regrettable. L’école, lieu d’apprentissage des bases solides et universelles, ne devrait pas devenir un laboratoire où l’on teste des innovations pédagogiques qui, bien qu’animées de bonnes intentions, pourraient compromettre les fondations mêmes de l’éducation. L’objectif premier doit rester la transmission claire et rigoureuse de la langue, et non son remodelage au gré des modes idéologiques.

Réflexion personnelle

En tant qu’enseignant et amoureux de la langue française, je ne peux que m’indigner face à l’introduction de l’écriture inclusive dans un cadre universitaire, et plus encore dans une discipline aussi exigeante que le droit. Non que je sois insensible aux combats pour l’égalité des genres, bien au contraire. Mais je doute profondément que cette innovation typographique, aussi lourde qu’artificielle, apporte des solutions concrètes aux véritables inégalités auxquelles nous devons faire face.

Les partisans de l’écriture inclusive prétendent qu’elle est un outil de progrès. Pourtant, la réalité montre qu’elle constitue davantage une diversion. Pendant que nous débattons de points médians et de néologismes compliqués, les problèmes structurels tels que l’inégalité salariale, les violences faites aux femmes, ou encore les discriminations dans le monde du travail restent insuffisamment adressés. C’est comme si, en changeant la forme, nous espérions que le fond s’améliore de lui-même.

Plus inquiétant encore, l’écriture inclusive semble refléter une tendance plus large : celle d’un égalitarisme forcené qui nivelle tout par le bas. En voulant gommer les différences, on en vient à dégrader une langue qui est un des piliers de notre culture. Plutôt que d’exiger l’excellence et d’accompagner les étudiants vers une maîtrise de la langue, on leur impose des constructions artificielles qui rendent la communication encore plus ardue. À qui profite cette confusion ?

Enfin, il est difficile de ne pas percevoir dans cette approche une posture élitiste. Derrière les justifications progressistes, l’écriture inclusive devient une coquetterie pour initiés, déconnectée des réalités sociales et culturelles. Pendant que les débats se concentrent sur ces « minauderies », comme les qualifie Emmanuelle Ducros, les véritables enjeux – qu’ils soient économiques, sociaux ou éducatifs – sont relégués au second plan.

Langue française et égalité : jusqu’où peut aller l’écriture inclusive ?

La polémique autour de l’écriture inclusive à l’Université Lyon 2 dépasse largement le cadre de cet examen de droit de la famille. Elle illustre une fracture profonde entre la quête légitime d’égalité et les moyens employés pour y parvenir. Si la langue est un vecteur puissant de transformation sociale, la défigurer au nom d’une inclusivité mal pensée revient à fragiliser le lien commun qu’elle incarne.

Face aux défis de notre époque – qu’ils concernent l’égalité salariale, la lutte contre les violences de genre ou la représentation des femmes dans la culture populaire – l’écriture inclusive apparaît comme une diversion coûteuse. En se focalisant sur des modifications linguistiques superficielles, nous risquons de perdre de vue l’essentiel : agir sur les causes structurelles des inégalités.

Loin d’un rejet des idéaux progressistes, la critique de l’écriture inclusive s’inscrit dans une volonté de préserver une langue claire, exigeante et accessible, qui reste un outil essentiel pour penser et transformer le monde. Plutôt que de se perdre dans des expérimentations élitistes, il est temps de recentrer nos efforts sur des solutions concrètes et durables pour construire une société plus juste.

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