Lecture publique d’extraits du roman La Bascule dans une salle du Parlement Européen, lors du festival Bibliothèques Idéales

Et si c’était un attentat poétique ? L’affaire Frédéric Bach au Parlement Européen

Septembre 2024. Festival Bibliothèques Idéales à Strasbourg. L’un de ces événements culturels bien comme il faut, élégamment ancrés dans le paysage local, assez ambitieux pour se faufiler jusque dans les salons feutrés du Parlement Européen. Et c’est précisément là que tout bascule : au détour d’une lecture publique, des extraits de La Bascule, roman noir et profondément dérangeant de Frédéric Bach, sont lus à voix haute dans l’enceinte même de l’institution.

Mais pas n’importe quels extraits, évidemment. Des passages choisis. Calibrés. Des morceaux à peu près digestes sur la folie douce, la parole solitaire, les marginaux qu’on croise en ville. Des réflexions philosophiques, presque poétiques. De quoi émouvoir les âmes sensibles sans bousculer les sièges rembourrés.

Mais voilà : La Bascule, ce n’est pas ça. Ou plutôt, ce n’est que le début. Et la suite, personne n’en a parlé ce jour-là. Du moins, pas encore.

Frédéric Bach, un auteur pas fait pour les salons officiels

Ceux qui connaissent La Bascule savent. Ce roman, publié chez Camion Noir, n’a rien d’un recueil de méditations. C’est un concentré de noirceur organique, un récit de violence psychologique, de sexe brutal, d’éclats de lucidité désespérée. Un livre qui ne caresse pas le lecteur, mais lui écrase la nuque.

Alors forcément, on s’interroge : comment a-t-il pu finir lu dans un lieu aussi aseptisé, aussi lisse, aussi soigneusement contrôlé que le Parlement Européen ? On est bien content pour Frédéric Bach, qu’on adore, mais on se dit que le nouveau public qu’il a pu y gagner n’est sûrement pas prêt pour les deux derniers tiers de son livre.

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Ce qu’ils ont entendu

Les extraits lus ce jour-là, on les connaît. Des paroles sur les gens qui parlent seuls dans la rue. Des pensées sur la folie ordinaire. Des phrases comme celles-ci :

Je me sens proche d’eux, un peu moins quand ils crient, parce que leur douleur résonne fort, et ils font peur aux enfants, mais parfois ils parlent juste, et les enfants il faut qu’ils savent que ça existe, un peu aussi parce que les gosses, il faudra que plus tard ils fassent gaffe à pas trop descendre dans les limbes, parce que des fois t’as du mal à remonter.

C’est beau. C’est vrai. Et c’est une bombe à fragmentation. Parce que ce genre de texte, une fois refermé, appelle une suite. Et la suite, dans La Bascule, c’est la déchéance, la chair, la pulsion de mort.

Pour mieux comprendre l’univers de l’auteur : Frédéric Bach

Littérature sous cellophane

Ce qu’on a lu au Parlement ce jour-là, ce n’est pas La Bascule. C’en est l’écrin poli. La version soft. Ce que les institutions savent faire de mieux : s’approprier des œuvres subversives en les lissant jusqu’à l’inoffensif. On célèbre la souffrance poétique, pas la violence politique. On applaudit l’introspection, pas la déflagration.

Et pourtant. Quelque chose est passé. Parce que même tronqué, même castré, La Bascule porte encore des éclats. Et ceux qui ont entendu ces mots, s’ils ont eu la curiosité d’acheter le livre… ont peut-être pris une claque dont ils ne se remettront pas tout à fait.

Sabotage à retardement ?

Alors la question se pose. Et si c’était volontaire ? Si ceux qui ont choisi les extraits savaient parfaitement ce qu’ils faisaient ? S’ils avaient, dans le confort d’un partenariat culturel, glissé un cheval de Troie dans le temple ?

On ne saura sans doute jamais si les lecteurs ce jour-là avaient lu le roman en entier. S’ils savaient à quel monstre ils prêtaient leur voix. Mais des gens du festival, eux, savaient. Et ils l’ont fait quand même.

Et rien que pour ça, ils nous plaisent.

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