Cosmopolis : le huis clos glaçant du capitalisme en décomposition
Il y a des œuvres qui séduisent instantanément et d’autres qui résistent, se refusent à une lecture immédiate. Le film Cosmopolis (2012), adaptation du roman de Don DeLillo par David Cronenberg, fait indéniablement partie de cette seconde catégorie. Lors d’un premier visionnage, le film peut déranger, frustrer. Son rythme lent, ses dialogues extrêmement écrits et son atmosphère glaciale ne livrent pas immédiatement leurs secrets. Pourtant, à force de s’y replonger, une autre dimension se dévoile : une expérience cinématographique singulière, radicale, qui capte l’agonie d’un monde en décomposition.
À la sortie du film, j’ai moi-même ressenti cette ambivalence. Attiré par la promesse d’un voyage cinématographique intense, j’ai été surpris par l’absence de grand spectacle, de climax hollywoodien, de mise en scène spectaculaire. Au lieu de cela, Cosmopolis impose un huis clos mental, une plongée dans la psyché d’un milliardaire du XXIᵉ siècle qui traverse New York sans vraiment la voir, enfermé dans une limousine insonorisée. Une œuvre qui, sur le moment, m’a laissé un goût de frustration, mais qui, après un second visionnage, m’a paru fascinante.
Avec sa froideur clinique, son dialogue littéraire et son observation clinique du capitalisme en pleine crise existentielle, Cosmopolis est une œuvre idéal pour Les Heures Les Plus Sombres. Un film à redécouvrir, à déconstruire, et surtout à revoir pour en saisir toute la richesse.
Fiche technique
- Réalisateur : David Cronenberg
- Scénario : David Cronenberg, d’après le roman Cosmopolis de Don DeLillo (2003)
- Musique : Howard Shore, avec la participation du groupe Metric
- Photographie : Peter Suschitzky
- Production : Paulo Branco, Martin Katz
- Pays d’origine : France, Canada, Portugal, Italie
- Langue originale : Anglais
- Durée : 109 minutes
- Date de sortie : 2012
Acteurs principaux :
- Robert Pattinson : Eric Packer
- Juliette Binoche : Didi Fancher
- Sarah Gadon : Elise Shifrin
- Paul Giamatti : Benno Levin
- Mathieu Amalric : André Petrescu
- Samantha Morton : Vija Kinsky
- Jay Baruchel : Shiner
Un film qui déconcerte
Dès les premières minutes, Cosmopolis impose un ton particulier. Loin des codes narratifs traditionnels, le film se construit comme une suite de dialogues abstraits, presque théâtraux, où chaque personnage semble incarner une idée plus qu’un être humain. Cette approche, directement héritée du roman de Don DeLillo, peut déranger : on attend une progression dramatique, des enjeux cinématographiques clairs, mais Cosmopolis ne joue pas ce jeu-là.
La mise en scène de David Cronenberg accentue encore cette étrangeté. L’essentiel du film se déroule dans l’espace confiné d’une limousine ultra-moderne, qui devient une sorte de capsule hors du temps et du monde. La ville défile en arrière-plan, mais Eric Packer, le personnage principal, y reste étranger. Protégé du chaos extérieur par l’isolation parfaite de son véhicule, il est comme un spectateur passif de sa propre existence.
Ce choix radical divise les spectateurs. Beaucoup ont reproché au film son absence d’émotion et sa froideur clinique. D’autres, au contraire, ont vu dans cette sécheresse une critique implacable d’un capitalisme déconnecté du réel. Si Cosmopolis ne cherche pas à séduire immédiatement, il pose cependant une atmosphère unique, une impression de fin du monde imminente où chaque mot sonne comme une sentence.
Une plongée dans la fin d’un monde
Cosmopolis n’est pas seulement le portrait d’un homme, mais celui d’un système économique et social en pleine agonie. La limousine d’Eric Packer, qui glisse silencieusement à travers New York, devient une métaphore du capitalisme ultra-moderne : un espace aseptisé, hors du temps, où les décisions financières se prennent à une vitesse dépassant l’entendement humain. Pendant ce temps, à l’extérieur, le monde s’effondre.
Le film est traversé par des signes annonciateurs d’un chaos imminent : des manifestations secouent la ville, une crise financière incontrôlable fait s’écrouler l’empire de Packer, et des menaces personnelles pèsent sur lui. Pourtant, il reste apathique, prisonnier de son obsession pour le contrôle et la prédiction. Il veut une coupe de cheveux chez un vieux barbier, comme si ce geste banal pouvait encore donner un sens à son existence. Mais rien ne l’ancre plus à la réalité : il est déjà un spectre errant dans un monde condamné.
Cronenberg pousse la logique du film jusqu’au bout, refusant toute catharsis. Contrairement aux récits classiques où la chute d’un personnage sert un arc dramatique, Cosmopolis nous laisse dans un état d’indétermination. Ni spectaculaire, ni tragique, la déchéance de Packer est une dissolution progressive. Il ne perd pas seulement sa fortune, il perd son identité, sa raison d’être.
Si Cosmopolis résonne autant aujourd’hui, c’est parce qu’il capture ce moment de bascule où un système ne tient plus debout mais continue d’exister par inertie. Un capitalisme spectral, maintenu artificiellement en vie par des algorithmes, des paris boursiers absurdes et une élite déconnectée de tout sauf de son propre effondrement.
Une œuvre qui se révèle avec le temps
La première rencontre avec Cosmopolis peut être déroutante, voire frustrante. Son absence d’émotion apparente, son langage ultra-théorique et sa mise en scène glaciale ne facilitent pas l’adhésion immédiate. Pourtant, c’est précisément cette résistance qui fait de lui un film fascinant à revisiter.
En le revoyant, on perçoit mieux sa logique interne : ce n’est pas un film à ressentir, mais à décrypter. Chaque dialogue est une pièce du puzzle, chaque rencontre un fragment de pensée sur le capitalisme, la technologie ou la disparition du sens dans un monde gouverné par l’abstraction financière.

De la même manière que le cinéma de Cronenberg s’est souvent révélé en avance sur son temps (Videodrome, Crash ou eXistenZ étant aujourd’hui considérés comme prophétiques), Cosmopolis apparaît aujourd’hui comme une œuvre d’anticipation troublante. Son portrait d’un capitalisme spectral et d’une élite hors-sol n’a fait que gagner en pertinence face aux crises économiques successives et à l’éloignement croissant entre les ultra-riches et le reste de la société.
Plus qu’un simple récit sur la chute d’un homme, Cosmopolis est une expérience qui gagne en richesse à chaque visionnage. C’est un film dont la froideur initiale se transforme peu à peu en une forme de lucidité implacable.
Comment voir Cosmopolis aujourd’hui ?
Pour apprécier pleinement Cosmopolis, il est essentiel de le visionner dans des conditions optimales. Le film est disponible sur plusieurs plateformes de streaming et de vidéo à la demande. Voici quelques options :
- Apple TV : Cosmopolis est disponible à la location ou à l’achat sur Apple TV.
- Amazon Prime Video : Disponible à la location ou à l’achat sur Amazon.
Pour une expérience optimale, il est recommandé de regarder Cosmopolis dans un environnement calme, avec une attention particulière aux dialogues. L’utilisation de sous-titres peut aider à saisir toute la complexité des échanges. Une immersion totale permettra d’apprécier la mise en scène précise de Cronenberg et la performance nuancée de Robert Pattinson.
Le film Cosmopolis, ou la limousine comme cercueil du 1%
Cosmopolis est un film qui défie les attentes. Loin du thriller financier ou du drame spectaculaire, il propose une plongée clinique et cérébrale dans un monde en décomposition. Avec son rythme lent, ses dialogues littéraires et son atmosphère glaciale, il repousse le spectateur avant de se révéler à lui sur la durée.
David Cronenberg signe ici une œuvre radicale, refusant la facilité pour offrir un miroir déformant du capitalisme moderne. Robert Pattinson, dans un rôle à contre-courant de son image d’alors, incarne avec une justesse troublante cet homme coupé de tout, y compris de lui-même.
Avec les années, Cosmopolis n’a cessé de gagner en pertinence. Ce qui pouvait sembler abstrait ou abscons en 2012 apparaît aujourd’hui comme une vision quasi prophétique de notre époque. C’est un film qui s’apprécie dans le temps, qui se redécouvre et qui mérite qu’on s’y replonge, encore et encore.
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